2 mars 2012 - massif
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les (h)auteurs et leurs invités au Polaris
2 mars 2012 - massif
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les (h)auteurs et leurs invités au Polaris
19 mars 2012 - mensonge
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les (h)auteurs et leurs invités au Polaris
2 mars 2012 - rayon
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les (h)auteurs et leurs invités au Polaris
17 mars 2012 - explosion
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les (h)auteurs et leurs invités au Polaris
18 mars 2012 - nénuphar
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les (h)auteurs et leurs invités au Polaris
© Marie-Françoise Prost-Manillier
récréation métaphysique !
L'Autre me laisse partir. Des kilomètres se glissent entre nous, entre nos maisons, entre nos mots. Nous grandissons dans cette distance, l'acceptation de cette distance nous rapproche.
J'apprivoise mon chemin, mon chemin et ses cailloux. D'autres mains m'apprivoisent. Ma peau a soif d'autres salives, d'autres portes, devant moi, révèlent leur seuil.
J'oublie l'Autre, parfois. Des choses nouvelles habitent mon silence. Des éclats de voix, des joies éclatées. Et puis de nouvelles cicatrices, de nouveaux pansements.
Et je reviens à l'Autre, l'Autre toujours là dans son souci de moi, la main comme une corde autour de mon poignet, tout au bord du trou, du trou au fond de moi, qui avale mon sommeil.
L'Autre ne sait plus faire, son savoir des choses bute contre la faiblesse de ses mains, la raideur de ses os.
Les choses lui échappent, s'échappent de ses mains et de sa mémoire, tombent, se cassent.
Je voudrais glisser des épaisseurs de douceur entre son corps et les angles durs des choses.
Mais l'autre repousse mes mots-pansements. Son savoir sait ça aussi, l'irrémédiable.
Les mots, entre nous, sont nus.
L'Autre est étendue, là, dans son enveloppe de peau froide.
Sous le tissu inutilement soyeux, son corps, rincé, séché, déshabillé de sa robe de vie.
Ses mains croisées sur sa poitrine vide.
La mienne, pleine de cris écrasés.
Ses mains accouplées comme pour m'enfanter, encore.
M'enfanter, encore.
extrait du texte écrit pour le Festival Les Envolires, lecture publique des (h)auteurs samedi 28 mai à 19h dans la Tour de Crest
L'Autre enlève les cailloux que le chemin a cachés sous la peau, la peau de mon genou.
Le coton imbibé de rouge ajoute de la douleur à la douleur, je voudrais que la main s'arrête mais la main ne m'écoute pas, elle sait, elle sait qu'il faut d'abord souffrir un peu pour ne plus souffrir du tout, elle veut soigner, elle veut rendre au chemin ce qui lui appartient, elle veut que la peau repousse toute neuve sous le pansement.
Alors je m'abandonne à la main sans pleurer. Je fais confiance à son savoir des choses, parce que moi, des choses, je ne sais rien encore. J'essaie de les apprivoiser, mais souvent elles s'échappent de mes mains et elles se cassent, ou alors je me cogne contre elles.
Mais l'Autre est le pansement sous lequel je vais repousser toute neuve chaque fois, chaque fois que je tomberai.
L'Autre et ses yeux qui s'enfoncent dans les miens, qui cherchent le trou, la fêlure pour rentrer à l'intérieur, l'intérieur de ma tête. Son savoir des choses s'arrête là, là où commence mon silence.
Maintenant que les mots m'appartiennent autant qu'à elle, maintenant que je peux les lancer dans l'air ou au contraire les garder dedans, maintenant l'Autre me regarde comme si j'étais une maison, comme si ma bouche était une porte, comme si elle avait perdu la clé.
L'Autre est dehors. Quand je vois son inquiétude gonfler, durcir, prête à forcer la serrure, j'invente des réponses, je choisis des mots élastiques, des mots qu'on peut tordre, et par la porte entrouverte, je laisse s'échapper mes premiers mensonges.
L'Autre et son visage qui se cache, avec ses yeux qui jettent des larmes sur les joues, les coins de sa bouche qui les avalent, et ses mains qui se referment par-dessus, ses mains-écrans, chiffonnées sur sa bouche, qui font rempart à ses mots, ses mots qui coulent et que je n'entends pas.
Sous le rocher des mains, les mots sont écrasés.
L'Autre me veut sourde. Elle glisse des épaisseurs de silence entre nous, ferme ses paupières-cicatrices, et repousse le pansement de mes mains.
J'ai mal du mal de l'Autre. Je suis à sa porte. Mon désir de soigner est immense mais mes mains, trop petites, trop petites pour contenir toute cette peine qui du visage de l'Autre s'écoule.
extrait du texte écrit pour le Festival Les Envolires, lecture publique des (h)auteurs samedi 28 mai à 19h dans la Tour de Crest
L'Autre écarte les cuisses, serre les poings et m'expulse à la vie.
Palpée, soupesée, je suis. Déshabillée de ma robe de sang. Rincée, séchée. Propre à exister.
La peau de l'Autre, je veux sentir; de celle qui m'a crachée, là, visqueuse, sur le drap.
Mais des épaisseurs rugueuses sont glissées entre nous, des frontières de tissu pour nous éloigner, nous protéger. Pour séparer, dans l'abondance de chair, ce qui est l'une, ce qui est l'autre.
De force, je suis moi, uniquement moi.
Plus jamais dans l'Autre.
Dehors, pour toujours.
L'Autre fait des grimaces, je ne sais pas encore que ça s'appelle des sourires.
Tout rétrécit dans son visage, et quand je crois qu'il va disparaître, absorbé par le trou de la bouche, les bosses redeviennent des bosses, les plis des plis, et il y a un bruit très doux, un bruit transparent et tiède qui vient rouler sur ma peau.
Faire venir à moi ce bruit, encore et encore, je veux. Attraper le bruit à sa source, le faire rebondir entre mes mains, et puis l'avaler, ce rire-frère, ce jumeau.
Né du dedans de l'Autre, comme moi.
L'Autre et son visage penché sur moi.
La main dans mes cheveux, ou ouverte sur le drap, je ne sais plus.
Je ne sais plus si le désir de sa main sur mon front pour emprisonner mon cauchemar et le jeter par la fenêtre, je ne sais plus si mon désir a soulevé sa main pour la poser sur moi, ou si elle est restée ouverte, inerte, sur le drap.
Les mots ne m'appartiennent pas encore pour dire la peur. La peur du jour où l'Autre ne sera pas là et qui fait de mon ventre un grand trou, et de ma nuit, une longue glissade dans ce trou.
Sur le drap, assise, assise au bord du trou, l'Autre, me donne enfin sa main jusqu'au sommeil.
extrait du texte écrit pour le Festival Les Envolires, lecture publique des (h)auteurs samedi 28 mai à 19h dans la Tour de Crest